Seb Joncoux raconte la Bande Originale de Cœur Galactique
Jules Ardent – Pourquoi publier une bande originale complète pour Cœur Galactique, au lieu de juste laisser la musique comme habillage de la série ?
Pour être franc, c'est la première véritable bande originale que j'ai composée longtemps en avance pour une de mes histoires. J'ai eu la chance d'avoir de la musique créée pour mes deux longs métrages, mais c'était des improvisations de musiciens exceptionnels. Très différent de travailler avec deux compositeurs professionnels comme Camil Kanouni et Stéréotic.
J'ai décidé de la publier parce que c'est l'aboutissement d'un travail de passionnés. Et surtout, des fans m'ont contacté pour pouvoir écouter certains morceaux en tant que musique à part entière, pas juste comme habillage de mes histoires. "Paname la nuit", ce morceau d'accordéon électronique, a particulièrement plu. C'est un vrai succès.
Et puis, il y a aussi la question des droits SACEM. Camil et Stéréotic sont des professionnels qui méritent une rémunération pour la diffusion de leur musique. C'est le processus normal d'une production audiovisuelle, quoi.
Jules Ardent – Comment tu as expliqué aux musiciens ce que tu avais en tête ?
Pour moi, la musique dans les histoires, c'est avant tout les émotions. Je voulais signifier à l'auditeur les émotions que je voulais qu'il ressente par des musiques qui, moi, m'émeuvent d'une certaine façon.
Pour Camil et Stéréotic, j'ai préparé un long document qui illustrait chaque émotion que j'avais l'intention d'explorer dans la série. J'ai sélectionné des musiques provenant de mes séries précédentes, beaucoup venant d'un service qu'on appelle "Audiio avec deux "i", que j'avais utilisées dans "Sur la Route du Silicium". J'ai expliqué clairement et concrètement pourquoi telle musique m'évoquait telle émotion. Ça a guidé les compositeurs à s'aligner sur mon schéma émotionnel.
On a aussi discuté longuement du style de musique. On a décidé très tôt que la guitare tiendrait une place très importante dans la vie de Jules. Il adore jouer de la guitare, il a appris à jouer avec son père. Camil, qui est un guitariste d'exception, s'est emparé de ça. C'est Camil qui joue quand Jules joue de la guitare, et cette guitare guide l'auditeur tout au long de l'histoire.
On a aussi décidé d'utiliser des synthétiseurs analogiques des années 80, par pur goût pour ce type de musique et pour l'évocations de la science-fiction que ça représente pour moi.
Un autre détail important : Camil et Stéréotic passent leur vie à composer. C'est leur oxygène. Ils ont plein de morceaux en maquettes sur des disques durs qui cherchent un projet. J'ai écouté beaucoup de leur musique et j'ai fait un peu mon marché dans les maquettes existantes. Et ça, c'est formidable.
Jules Ardent – Y a-t-il un moment où tu as réalisé que Camil et Stéréotic avaient compris quelque chose dans ton univers que tu n'avais pas encore formulé avec des mots ?
Honnêtement, je n'ai vraiment compris ce qu'ils avaient fait que quand j'ai commencé à monter et mixer la série en mars 2025. J'avais déjà validé la musique depuis plusieurs mois et j'en étais content et satisfait. Mais pendant le mixage, j'ai réalisé à quel point leur travail était finement ciselé, à quel point leur musique était porteuse des émotions dont j'avais besoin, mais aussi à quel point elle laissait la place à la narration, à l'action, et me laissait la place en tant que réalisateur de raconter mon histoire.
C'est à ce moment-là que j'ai compris : "Ah mais c'est ça, travailler avec des compositeurs de musique à l'image." Parce qu'au fond, dans les séries audio, c'est de la musique à l'image qu'on fait. Je raconte des histoires depuis longtemps, mais c'est vraiment le travail avec Camil et Stéréotic qui m'a permis de comprendre ce que c'est le travail du réalisateur avec le compositeur au cinéma – ce qui fait rêver des millions de gens quand on regarde les making-of. Et j'ai la chance de vivre ça avec ces deux compositeurs. La musique composée pour moi, c'est vraiment de la musique de cinéma. Ce n'est pas de la musique pour danser dessus tout seul, elle s'appuie sur mon récit.
J'ai compris ça dans les premières heures de mixage et de montage, et ça m'a fasciné. Pour la bande annonce de la saison 2, par exemple, on avait tout monté et mixé selon un script que j'avais écrit avec Vzeeble, le directeur artistique. Camil a dit : "Ah mais je vais faire une guitare par-dessus", et c'est cette guitare que tout le monde entend maintenant. C'est une guitare émotionnelle qui vient matérialiser le doute qui habite Jules, ce questionnement permanent, cette fêlure qui est au cœur du personnage.
Jules Ardent – Ça a changé ta manière d'écrire pour les saisons suivantes ?
On a un groupe WhatsApp spécifique à la musique de Cœur Galactique avec Camil et Stéréotic, où on parle au fil du temps du projet musical. L'autre jour, en parlant avec un copain, je lui partageais un instrument de musique que j'adore, que je trouvais très beau. En la réécoutant, je me suis dit : "Mais attends, elle est parfaite pour un décor que j'ai écrit pour la saison 2". J'ai partagé la vidéo avec Stéréotic en lui disant : "Tu penses qu'on pourrait s'inspirer de cette musique pour développer ce paysage d'une planète sauvage ?" Il a carrément kiffé.
Je ne dirais pas que ça a changé ma façon de travailler. C'est surtout que le travail en équipe est formidable. On peut penser que l'écriture est un travail en solo, mais moi je ne suis jamais tout seul. J'ai des outils d'idéation assistée par intelligence artificielle avec lesquels je travaille beaucoup. J'ai aussi Grégory Baranès, scénariste et producteur, avec qui je collabore depuis plusieurs années. Grégory lit tout ce que j'écris et me challenge. Parfois il me fait des notes qui sont difficiles à entendre, mais auquelles je dois réfléchir et dont je tiens compte la plupart du temps. Et pour la musique, quand j'ai des idées sur l'univers, je peux en parler avec les compositeurs. Ça va dans les deux sens. Ça me nourrit beaucoup.
Jules Ardent – Qu'est-ce que tu espères que les gens retiennent en écoutant la BO toute seule ?
J'espère plusieurs choses. D'abord, j'aimerais que des personnes écoutent l'album en entier, peut-être les yeux fermés en réfléchissant, en imaginant les paysages qu'ils ont connus dans la série.
On a aussi des pépites particulières. "Paname la Nuit" est un morceau que j'aimerais bien que les gens utilisent pour illustrer le Paris d'aujourd'hui, le Paris moderne mais qui sent l'accordéon. Ce morceau est super, et je pense qu'il peut illustrer et faire kiffer des gens du monde entier.
"Je suis une menteuse" est une chanson que j'aime beaucoup. C'est Nathalie Goncharoff qui la chante, avec une très belle voix. On l'a créée pratiquement en live, juste quelques prises avec Nathalie. Camil a fait la guitare en jouant à la place de Jules dans ce morceau. C'est une séquence très belle. Ce concert pour lequel elle demande à Jules de l'aider, c'est un stratagème. Elle a payé la salle pour jouer et pour avoir un prétexte de se rapprocher de Jules. Elle ment, c'est plus fort qu'elle. Elle est morte à l'intérieur, elle a envie qu'on l'aime mais elle ne sait pas comment être aimée.
Le générique aussi est super. Pour moi, il évoque vraiment l'exploration galactique. Dès que je l'ai entendu, j'ai su que c'était ce morceau-là que j'avais envie d'avoir comme générique.
On a aussi pas mal de morceaux climatiques et liés à l'action, au suspens, qui sont très illustratifs. Mais il y a aussi un morceau qui revient souvent et que les gars ont créé, que je trouve super : "Club Galactique". C'est la musique qu'on met dans toutes les fêtes techno où vont les personnages. Un super morceau d'électro qui matérialise la nuit, la fête. Je mets souvent des effets dessus – on entend les basses de loin, par exemple.
J'ai eu la chance de vivre les free parties techno des années 90, et il n'y a rien de plus kiffant que d'approcher une free party où seules les infra basses arrivent jusqu'à toi. Tu t'approches et les basses montent, et puis petit à petit le reste de la musique apparaît. Ce sont des sensations d'anticipation, de joie, de danse que je trouve formidables. J'essaye de reproduire ces effets dans la série.
Jules Ardent – Pourquoi c'est le bon moment pour écouter la BO ?
Parce qu'on a tous carrément besoin de fuir le doom scrolling. Il est total et perpétuel. On est tous bombardés d'infos flippantes. Tout est réglé pour nous faire douter de notre avenir, de nous faire peur, de nous rendre triste, pour faire de nous des consommateurs.
Je pense que justement, avec un récit optimiste, il ne faut pas oublier le futur. J'ai eu la chance de grandir dans les années 70-80 où la science-fiction était portée vers l'avenir. Les jeunes adultes actuellement n'ont que des dystopies. Je comprends qu'ils se protègent en revivant des moments de leur enfance dans des histoires ressassées en permanence.
Mais moi, je pense que l'avenir existe. Et si le futur existe, il faut s'en emparer. Il faut se projeter en avant. Et c'est nous, en nous projetant en avant, qui pouvons potentiellement trouver les solutions aux défis auxquels on est confrontés maintenant.
Ce que j'espère, c'est que quelqu'un écoute cette bande originale, se sente un peu inspiré, imagine, utilise son imaginaire. Je pense que rien de plus beau que d'utiliser son esprit pour se libérer, tout simplement. Voilà mon ambition pour cette bande originale.
Ok merci, Seb.
C'était Jules Ardant pour "Paname la nuit," contenu exclusif évidemment pour tous les abonnés.
Salut la galaxie !
