Les Milliardaires rêvent-ils de moutons électriques ? Non, ils rêvent d'immortalité !

Le 3 septembre 2025 a marqué un tournant décisif dans notre compréhension du pouvoir contemporain. Lors du défilé militaire chinois célébrant les 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale, une conversation captée par erreur entre Xi Jinping, Vladimir Poutine et Kim Jong-Un a révélé leurs préoccupations les plus profondes. Au-delà des démonstrations de force, ces trois dictateurs, qui comptent aussi parmi les hommes les plus riches de la planète, discutaient d'un rêve bien plus grand que la domination géopolitique : l'immortalité.
Cette révélation s'inscrit parfaitement dans la logique de notre époque, celle de la civilisation des milliardaires, concept que j'ai développé dans ma série "Sur la Route du Silicium". Cette nouvelle aristocratie technologique ne se contente plus d'accumuler des richesses ou d'exercer un pouvoir politique : elle aspire désormais à transcender la condition humaine elle-même.
Quand les dictateurs deviennent des techno-oligarques
Vladimir Poutine, que certains analystes considèrent comme l'homme le plus riche du monde avec une fortune estimée entre 150 et 250 milliards d'euros, incarne parfaitement cette convergence entre pouvoir politique et richesse privée. Contrairement aux déclarations officielles qui lui attribuent un modeste patrimoine de 694 421 euros sur six ans, la réalité serait tout autre. Cette fortune colossale, dissimulée dans un réseau complexe de prête-noms et de sociétés offshore, le placerait au sommet de la hiérarchie des ultra-riches mondiaux.
Xi Jinping et Kim Jong-Un, bien que moins documentés, appartiennent également à cette catégorie des dirigeants-milliardaires. Kim Jong-Un disposerait ainsi d'une fortune estimée à 4,85 milliards d'euros, tandis que la famille de Xi Jinping contrôlerait des actifs considérables à travers l'appareil d'État chinois. Ces trois hommes illustrent parfaitement la mutation contemporaine du pouvoir : de simples dictateurs politiques, ils sont devenus des techno-oligarques disposant de moyens financiers quasi illimités.
Cette transformation s'inscrit dans une logique plus large que j'ai explorée dans mes précédents travaux sur l'émergence d'une nouvelle classe dominante. La "civilisation des milliardaires" ne se limite plus aux entrepreneurs de la Silicon Valley ; elle englobe désormais les autocrates qui ont su convertir leur pouvoir politique en richesse technologique et financière.
L'addiction à la fin... du monde tel qu'ils le connaissent
La conversation interceptée révèle une dimension psychologique fascinante : ces dirigeants, pourtant maîtres de nations entières, sont hantés par leur propre finitude. Cette angoisse existentielle fait écho à ce que la psychanalyse identifie comme une "addiction à la fin du monde" - non pas au sens apocalyptique, mais comme une compulsion à contrôler l'inévitable, à repousser sans cesse les limites de leur condition.
Cette problématique n'est pas sans rappeler les mécanismes addictifs décrits dans la littérature spécialisée. Comme l'explique un spécialiste des addictions : "Les addictions mutent, elles accompagnent les mutations de la société". Pour ces ultra-riches, l'immortalité devient la drogue ultime, celle qui promet de résoudre définitivement l'angoisse de la mort et de la perte de contrôle.
Cette "addiction à l'immortalité" s'exprime par une frénésie d'investissements dans les biotechnologies et la recherche sur la longévité. Jeff Bezos, Peter Thiel et d'autres magnats de la tech investissent des milliards dans des projets visant à "hacker" le vieillissement. En 2022 seulement, plus de 5,2 milliards de dollars ont été injectés dans 130 start-ups œuvrant pour la longévité - dix fois plus qu'il y a une décennie.
La nouvelle frontière technologique de l'immortalité
L'obsession de ces milliardaires pour l'immortalité n'est pas qu'un fantasme : elle s'appuie sur des développements scientifiques réels, même si hautement spéculatifs. Des entreprises comme Altos Labs, financée par Jeff Bezos, travaillent sur la reprogrammation cellulaire pour inverser le processus de vieillissement. D'autres projets, comme ceux de Unity Biotechnology, développent des médicaments "sénolytiques" capables de détruire les cellules vieillissantes.
Peter Thiel finance quant à lui des recherches sur la cryogénisation et les transfusions sanguines avec de jeunes donneurs. Ces investissements massifs transforment la quête d'immortalité en une véritable industrie, avec des salaires mirobolants proposés aux chercheurs - jusqu'à un million de dollars par an.
Cette course technologique vers la longévité extrême soulève des questions éthiques majeures. Si ces technologies aboutissent, elles seront initialement réservées aux ultra-riches, créant une nouvelle forme d'inégalité : celle de l'espérance de vie. Les milliardaires pourraient ainsi non seulement monopoliser les richesses actuelles, mais aussi s'arroger le droit de vivre bien au-delà des limites biologiques normales.
Une paraphrase dickienne de notre réalité
Le titre de cet article fait évidemment référence au chef-d'œuvre de Philip K. Dick, "Do Androids Dream of Electric Sheep?" (Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?), adapté au cinéma sous le titre "Blade Runner". Cette paraphrase n'est pas anodine : elle révèle la dimension profondément dystopique de notre époque.
Dans le roman de Dick, les androïdes tentent désespérément d'accéder à l'humanité et à l'empathie qui leur fait défaut. Dans notre réalité contemporaine, ce sont les ultra-riches qui semblent perdre progressivement leur humanité en poursuivant l'immortalité technologique. Comme les réplicants de "Blade Runner", ils sont obsédés par l'extension de leur "durée de vie programmée", au point d'oublier ce qui constitue l'essence même de la condition humaine.
Cette inversion est saisissante : alors que les androïdes de Dick rêvaient de compassion et d'authenticité symbolisées par les moutons électriques, nos milliardaires contemporains rêvent d'une existence éternelle dépourvue des contraintes biologiques qui nous rendent humains. Ils deviennent, en quelque sorte, les véritables androïdes de notre époque - techniquement perfectionnés mais émotionnellement défaillants.
Les inégalités comme facteur d'effondrement civilisationnel
L'émergence de cette civilisation des milliardaires immortels pose un problème civilisationnel majeur. Des études récentes, notamment le modèle HANDY développé par la NASA, montrent que les inégalités extrêmes constituent l'un des principaux facteurs d'effondrement des civilisations. Quand une élite accumule des richesses disproportionnées tout en se déconnectant des réalités du reste de la population, la société entre dans une phase de déstabilisation critique.
L'histoire nous enseigne que les grandes fortunes des dictateurs ont souvent précédé leur chute. Mouammar Kadhafi, avec ses 271 milliards d'euros, ou Hosni Moubarak et ses 95 milliards, ont vu leurs richesses colossales s'évaporer en quelques semaines lors des révolutions arabes. Mais la différence fondamentale avec notre époque réside dans la dimension technologique : nos milliardaires contemporains ne se contentent plus d'accumuler des biens matériels, ils tentent de s'affranchir des lois biologiques elles-mêmes.
Cette quête d'immortalité technologique révèle une déconnexion totale avec les enjeux de notre époque. Tandis que l'humanité fait face au changement climatique, aux pandémies et aux inégalités croissantes, une poignée d'ultra-riches investit des milliards pour prolonger indéfiniment leur propre existence. Cette logique narcissique et solipsiste illustre parfaitement la décadence de notre civilisation des milliardaires.
Vers une nouvelle forme de totalitarisme biologique
La conversation interceptée entre Poutine, Xi Jinping et Kim Jong-Un révèle peut-être l'émergence d'un nouveau type de totalitarisme : celui qui ne se contente plus de contrôler les corps et les esprits, mais aspire à maîtriser le temps lui-même. Ces dirigeants comprennent intuitivement que l'immortalité technologique représente l'ultime forme de pouvoir - celle qui permet de régner non plus sur une génération, mais potentiellement sur des siècles.
Cette perspective terrifiante fait écho aux dystopies les plus sombres de la science-fiction. Si ces technologies d'extension de la vie aboutissent et restent l'apanage des ultra-riches, nous pourrions voir émerger une société à deux vitesses où une élite immortelle dominerait des masses condamnées à la mortalité "naturelle".
La science-fiction nous a préparés à cette éventualité, mais nous pensions qu'elle resterait fictionnelle. La réalité nous rattrape : les milliardaires ne rêvent plus de moutons électriques, symboles d'une humanité artificielle en quête d'authenticité. Ils rêvent d'immortalité, révélant par là-même leur propre déshumanisation. Dans cette course effrénée vers l'éternité technologique, ils risquent de perdre ce qui fait l'essence même de la condition humaine : notre finitude partagée, source de notre empathie et de notre solidarité.
L'avenir nous dira si cette civilisation des milliardaires immortels parviendra à ses fins, ou si elle s'effondrera sous le poids de ses propres contradictions, comme tant d'autres avant elle. En attendant, la question posée par Philip K. Dick résonne avec une acuité nouvelle : dans un monde où les plus riches aspirent à devenir des dieux technologiques, qui reste vraiment humain ?
Seb Joncoux et Perplexity
Do Billionaires Dream of Electric Sheep? No, They Dream of Immortality
Translation of the French Article by Perplexity
This revelation fits perfectly within the logic of our era—that of the billionaire civilization, a concept I developed in my series "On the Silicon Road". This new technological aristocracy no longer contents itself with accumulating wealth or exercising political power; it now aspires to transcend the human condition itself.
When Dictators Become Techno-Oligarchs
Vladimir Putin, whom certain analysts consider the world's richest man with a fortune estimated between 150 and 250 billion euros, perfectly embodies this convergence between political power and private wealth. Contrary to official declarations attributing to him a modest patrimony of 694,421 euros over six years, the reality appears quite different. This colossal fortune, concealed within a complex network of nominees and offshore companies, would place him at the apex of the global ultra-wealthy hierarchy.
Xi Jinping and Kim Jong-Un, though less documented, also belong to this category of billionaire-leaders. Kim Jong-Un reportedly possesses a fortune estimated at 4.85 billion euros, while Xi Jinping's family controls considerable assets through the Chinese state apparatus. These three men perfectly illustrate the contemporary mutation of power: from simple political dictators, they have become techno-oligarchs disposing of virtually unlimited financial means.
This transformation inscribes itself within a broader logic that I explored in my previous work on the emergence of a new dominant class. The "billionaire civilization" is no longer limited to Silicon Valley entrepreneurs; it now encompasses autocrats who have succeeded in converting their political power into technological and financial wealth.
The Addiction to the End... of the World as They Know It
The intercepted conversation reveals a fascinating psychological dimension: these leaders, though masters of entire nations, are haunted by their own finitude. This existential anguish echoes what psychoanalysis identifies as an "addiction to the end of the world"—not in the apocalyptic sense, but as a compulsion to control the inevitable, to constantly push back the limits of their condition.
This problematic is not without recalling the addictive mechanisms described in specialized literature. As an addiction specialist explains: "Addictions mutate; they accompany society's mutations". For these ultra-wealthy, immortality becomes the ultimate drug—one that promises to definitively resolve the anguish of death and loss of control.
This "addiction to immortality" expresses itself through a frenzy of investments in biotechnology and longevity research. Jeff Bezos, Peter Thiel, and other tech magnates invest billions in projects aimed at "hacking" aging. In 2022 alone, more than 5.2 billion dollars were injected into 130 startups working on longevity—ten times more than a decade ago.
The New Technological Frontier of Immortality
These billionaires' obsession with immortality is not merely fantasy; it relies on real scientific developments, even if highly speculative. Companies like Altos Labs, financed by Jeff Bezos, work on cellular reprogramming to reverse the aging process. Other projects, such as those of Unity Biotechnology, develop "senolytic" drugs capable of destroying aging cells.
Peter Thiel finances research on cryogenics and blood transfusions with young donors. These massive investments transform the quest for immortality into a veritable industry, with astronomical salaries offered to researchers—up to one million dollars annually.
This technological race toward extreme longevity raises major ethical questions. Should these technologies succeed, they would initially be reserved for the ultra-wealthy, creating a new form of inequality: that of life expectancy. Billionaires could thus monopolize not only current wealth but also arrogate the right to live far beyond normal biological limits.
A Dickian Paraphrase of Our Reality
This article's title obviously references Philip K. Dick's masterpiece, "Do Androids Dream of Electric Sheep?" adapted for cinema as "Blade Runner". This paraphrase is not incidental; it reveals the profoundly dystopian dimension of our era.
In Dick's novel, androids desperately attempt to access the humanity and empathy they lack. In our contemporary reality, it is the ultra-wealthy who seem progressively to lose their humanity while pursuing technological immortality. Like the replicants of "Blade Runner," they are obsessed with extending their "programmed lifespan," to the point of forgetting what constitutes the very essence of the human condition.
This inversion is striking: while Dick's androids dreamed of compassion and authenticity symbolized by electric sheep, our contemporary billionaires dream of eternal existence stripped of the biological constraints that make us human. They become, in a sense, the true androids of our era—technically perfected but emotionally deficient.
Inequality as a Factor of Civilizational Collapse
The emergence of this civilization of immortal billionaires poses a major civilizational problem. Recent studies, notably the HANDY model developed by NASA, show that extreme inequalities constitute one of the principal factors in civilizations' collapse. When an elite accumulates disproportionate wealth while disconnecting from the rest of the population's realities, society enters a phase of critical destabilization.
History teaches us that dictators' great fortunes have often preceded their fall. Muammar Gaddafi, with his 271 billion euros, or Hosni Mubarak with his 95 billion, saw their colossal wealth evaporate in mere weeks during the Arab revolutions. But the fundamental difference with our era lies in the technological dimension: our contemporary billionaires no longer content themselves with accumulating material goods; they attempt to free themselves from biological laws themselves.
This quest for technological immortality reveals a total disconnection from our era's challenges. While humanity faces climate change, pandemics, and growing inequalities, a handful of ultra-wealthy invest billions to indefinitely prolong their own existence. This narcissistic and solipsistic logic perfectly illustrates our billionaire civilization's decadence.
Toward a New Form of Biological Totalitarianism
The intercepted conversation between Putin, Xi Jinping, and Kim Jong-Un perhaps reveals the emergence of a new type of totalitarianism: one that no longer contents itself with controlling bodies and minds but aspires to master time itself. These leaders intuitively understand that technological immortality represents the ultimate form of power—one that permits reigning not over a generation, but potentially over centuries.
This terrifying perspective echoes science fiction's darkest dystopias. If these life-extension technologies succeed and remain the ultra-wealthy's prerogative, we could witness the emergence of a two-speed society where an immortal elite would dominate masses condemned to "natural" mortality.
Science fiction prepared us for this eventuality, but we thought it would remain fictional. Reality catches up with us: billionaires no longer dream of electric sheep, symbols of artificial humanity in quest of authenticity. They dream of immortality, thereby revealing their own dehumanization. In this frenzied race toward technological eternity, they risk losing what constitutes the very essence of the human condition: our shared finitude, source of our empathy and solidarity.
The future will tell whether this civilization of immortal billionaires will achieve its ends, or whether it will collapse under the weight of its own contradictions, like so many others before it. Meanwhile, the question posed by Philip K. Dick resonates with new acuity: in a world where the wealthiest aspire to become technological gods, who remains truly human?
Seb Joncoux and Perplexity